jeudi 6 septembre 2007

北京 (Beijing)

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Qu’est-ce que vous pouvez faire si vous avez un pays d’un milliard et plus d’habitants ? Un truc pas mal, c’est de les faire se dresser les uns contre les autres, s’entretuer, dans des guerres civiles, des révolutions, etc. C’est ce que la Chine a fait en gros pendant l’essentiel du XXe siècle, ça fait des pages dans les livres d’histoire, des héros, des exploits surhumains, des nouvelles sensationnelles… Bon, c’est une première possibilité. Depuis la révolte des Boxers* vers 1900 jusqu’à la Bande des quatre dans les années 1970, en passant par les seigneurs de guerre, les nationalistes, les communistes, la guerre contre le Japon, la Longue Marche, la révolution de 1949, le Grand Bond en avant et ses famines monstrueuses, la révolution culturelle, tout ça, ça faisait de l’animation… On se souvient encore des communistes en 1927 jetés tout vifs dans les chaudières des locomotives par les nationalistes, épisode relaté dans le roman de Malraux, La Condition humaine.
Mais il y a une autre solution... Une solution nettement plus intéressante que se rentrer dedans et se massacrer à tout va. Elle consiste à faire en sorte que ce milliard et quelques centaines de millions de gens se mettent à tirer dans le même sens, à coopérer entre eux, à se diviser le travail pacifiquement. C’est ce qui se passe en Chine depuis une trentaine d’années grâce à un système assez simple qui s’appelle la liberté économique, au lieu des trucs super intelligents et bien pensés qu’on appelle planification, collectivisation, centralisation, hauts-fourneaux à la campagne, médecins aux pieds nus, etc. Celui qui a eu le génie de penser à ça, c’est sans doute un des plus grands hommes du siècle dernier - avec Roosevelt et Churchill qui ont sauvé le monde dans les années 1940 -, à qui on devra peut-être d’éviter une troisième guerre mondiale. J’ai nommé Deng Xiaoping, l’homme des réformes de 1979. Les Chinois révèrent encore Mao, toujours là sur la place Tien an men, avec son mausolée d’un côté et son portrait géant à l’entrée de la Cité interdite de l’autre, mais en fait ils savent bien que c’est à Deng qu’ils doivent la paix civile et leur prospérité. Mao a eu un seul mérite, d’unifier politiquement cet immense pays, après les décennies de guerre, mais il a tellement fait de conneries par la suite, tellement organisé de massacres, que c’est bien Deng Xiaoping que l’histoire retiendra.
Depuis trente ans, les Chinois ont un projet commun, développer leur pays, et un système efficace pour le faire, le capitalisme de marché. Comme le notait Friedrich von Hayek, le gros avantage du capitalisme, par rapport aux autres systèmes, c’est qu’il n’est pas nécessaire de se mettre d’abord d’accord sur une idéologie commune. Chacun peut avoir ses idées, les garder, et à part ça participer à travers sa liberté de choix au progrès économique commun. On a beau nous bassiner en Europe sur les miracles de la Chine, avec sa croissance à 10 % par an depuis trois décennies, il faut vraiment se rendre sur place, voir les villes (la plupart dont on ignore jusqu’au nom et l’endroit où elles se trouvent, en France, Xian, par exemple, deux millions d’habitants), pour réaliser ce qu’une croissance à 10 % peut faire. La Chine est un pays moderne, organisé, incroyablement efficace et productif, et surtout transformé. On peut se balader en Chine comme partout en Occident, tout est familier, car on est confronté à la modernité. Les pagodes relèvent plus des musées qu’autre chose, et les Chinois visitent en masse leurs monuments historiques, mais pour se fondre ensuite dans la vie moderne. Les gens se jettent avec passion sur leur nouveau jouet : la société de consommation, on sent une immense libération en cours, par rapport aux années d’austérité, de privation, de peur.
Ce qui frappe le plus en fait, outre la démesure, c’est qu’on n’est pas dépaysé. On circule à l’aise, tous les clichés de l’Européen qui n’a jamais mis les pieds en Chine, disparaissent très vite. Le pays ressemble d’ailleurs plus à l’Amérique qu’à l’Europe, par la taille des choses, tout est grand, tout est immense, les places, les avenues, les gares, les villes, le pays. Et ce n’est pas récent, le fait de voir grand date des dynasties successives. La Cité inerdite par exemple, en plein centre, occupe un espace énorme, inimaginable dans une capitale européenne. Les murailles de Xian, qui entourent la ville, feraient paraître Carcassonne et Rothenburg comme des hameaux pittoresques. Et la Grande Muraille, bien sûr, quelque chose qui dépasse l’entendement par son excès et sa beauté mêmes, une oeuvre folle.

* Sur la révolte des Boxers, voir le magnifique film de Nicholas Ray, Les 55 jours de Pékin, avec Charlton Heston, grandiose, et Ava Gardner, sublime, et la magnifique réflexion finale quand le major Matt Lewis (Heston) hésite, puis adopte la petite Chinoise et l’emmène sur son cheval. De mémoire, à un de ses lieutenants qui lui dit : “Mais avec votre vie de militaire, comment vous allez faire, et puis ce n’est pas votre enfant” : “Oh, ça dépend comment on voit les choses, tous les enfants sont les nôtres, non ?