vendredi 14 décembre 2007

Remonter le temps


Quand on voyage vers l’est, à l’inverse de Magellan, de l’Asie à l’Amérique, on gagne un jour en passant la date line. Ainsi, si vous partez l’après-midi du Japon, vers le Canada, vous allez y arriver le matin du même jour… Parti le deux août vers 15h, vous arrivez le deux août vers 10h, vous avez remonté le temps. Vous avez envoyé un mail à vos amis en France de l’aéroport de Narita l’après-midi, c’était le matin pour eux. Vous les retrouvez à Vancouver à votre arrivée, onze heures se sont écoulées, c’est le soir pour eux, mais vous êtes passé dans leur matin… C’est le mystère de la ligne de changement de date, difficile à concevoir, même aux esprits les plus cartésiens. Le mystère qui a perturbé les compagnons de Magellan (qui eux ont perdu un jour à leur arrivée, partis vers l’ouest, passé le détroit qui porte leur nom depuis, perdu aussi deux bateaux, puis le commandant lui-même, quelque part aux Philippines, arrivés enfin après un voyage de trois ans autour du monde, le premier), et aussi bien sûr Phileas Fogg, le héros de Jules Verne, qui lui a gagné un jour, et son pari grâce à ça :
“Phileas Fogg avait, « sans s’en douter », gagné un jour sur son itinéraire, — et cela uniquement parce qu’il avait fait le tour du monde en allant vers l’est, et il eût, au contraire, perdu ce jour en allant en sens inverse, soit vers l’ouest. En effet, en marchant vers l’est, Phileas Fogg allait au-devant du soleil, et, par conséquent les jours diminuaient pour lui d’autant de fois quatre minutes qu’il franchissait de degrés dans cette direction. Or, on compte trois cent soixante degrés sur la circonférence terrestre, et ces trois cent soixante degrés, multipliés par quatre minutes, donnent précisément vingt-quatre heures, — c’est-à-dire ce jour inconsciemment gagné. En d’autres termes, pendant que Phileas Fogg, marchant vers l’est, voyait le soleil passer quatre-vingts fois au méridien, ses collègues restés à Londres ne le voyaient passer que soixante-dix-neuf fois. C’est pourquoi, ce jour-là même, qui était le samedi et non le dimanche, comme le croyait Mr. Fogg, ceux-ci l’attendaient dans le salon du Reform-Club.”
Entre parenthèses, Jules Verne se fiche un peu de nous, là. Car comment croire que Phileas ne sache pas la date, alors qu’arrivé en Amérique (on se souvient de l’épisode où son train est bloqué par les bisons), il devait bien être au courant du jour qu’il était, ne serait-ce qu’en voyant les journaux, qu’en réservant son billet de train, ou de paquebot pour le retour à Liverpool… Mais qu’importe, tout le monde retient cet épisode invraisemblable du livre, et il aurait été dommage qu’il se prive de ce rebondissement.
* Une explication ici (ou ici pour les marins) :
“Supposons qu’il est midi là où vous êtes et que vous alliez vers l’ouest–ceci instantanément. A quinze degrés dans l’ouest il est 11 heures du matin, à 30 degrés dans l’ouest, 10 heures du matin, à 45 degrés ,9 heures du matin et ainsi de suite. En continuant, jusqu’à 180 degrés on devrait atteindre minuit, et, plus loin encore dans l’ouest, c’est …la veille. De cette façon, si on couvre 360 degrés, on revient d’où on est parti, le temps est encore midi — MAIS hier à midi. Hé — attendez une minute! Vous ne pouvez pas ETRE aujourd’hui en même temps qu’hier ! C’est pour cela que la longitude détermine seulement l’heure du jour - et non la date, qui est déterminée séparément. Pour éviter ce problème , une ligne de date internationale a été établie, en grande partie sur le méridien 180°, où il est convenu que toutes les fois qu’on le croise vers l’ouest, on avance la date d’un jour et que on la retarde d’un jour si on va vers l’est. Cette ligne passe par le détroit de Béring, entre Alaska et Sibérie, qui ont ainsi des dates différentes, mais en majeure partie cette ligne est située en plein océan, ou il n’est pas gênant de garder le temps local.”
Le mot de la fin revient à Pigafetta, le premier tour-du-mondiste, un des premiers aussi à s’interroger sur cette histoire de jour perdu ou gagné, et auteur de cette phrase magnifique, à son arrivée du voyage héroïque :
“Personne, à mon avis, n’entreprendra jamais plus un tel voyage !”
Antonio Pigafetta, compa­gnon et chroniqueur de Magellan, après son périple de plus de trois ans autour du monde.

1 Comments:

Blogger ML said...

Une note, d'un spécialiste de Jules Verne :
Note de Passepartout : "Entre parenthèses, cher Marius, le train de Philéas Fogg n'est pas bloqué par des bisons, mais par une "bande de sioux". Par ailleurs le navire du retour à Liverpool n'était pas un paquebot mais un simple navire de commerce (cargo). Philéas n'a réservé aucun billet. Quant aux billets de train, c'est Passepartout qui se chargeait de les retenir, Passepartout qui, justement, était resté à l'heure de Londres."
Ici :
http://julesvernenews.blogspot.com/2007_12_01_archive.html

9:10 PM  

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